En cherchant des informations sur les légendes et les traditions et usages en pays de Gouarec, je suis tombé sur un texte de Gaultier du Mottay (Historien-Géographe:1811-1883) publié dans l'édition de Henri Charpentier, Imprimeur-Editeur à Nantes en 1865, publication reprise dans une nouvelle édition "Culture et civilisation" à Bruxelles en 1977. Je cite intégralement ce texte assez troublant car l'endroit dont il est question est bien connu des anciens Gouarécains et des gens âgés du pays: "Dans un taillis situé au dessus du bourg de Gouarec, se trouve une allée couverte formée de larges dalles schisteuses; elle aurait, paraît-il, servi de refuge pendant les guerres civiles. (L'auteur fait ici allusion aux allées couvertes de Bochacoat à la Lande de Gouarec, dont il ne reste que la plus longue ruinée).
Mais tout l'intérêt de ce monument celtique (il confond comme
Restes d'une allée couverte de Bochacoat |
auquel appartient ce monument) s'efface, nos lecteurs en conviendront, devant celui d'une certaine grotte située sur les bords du Blavet, renfermant le fameux livre enchanté, nommé l'Agrippa. Il est enchaîné à une table de pierre et sa couverture est fermée par sept clés. Ni le feu ni l'eau n'ont d'action sur lui; il sert à évoquer quand on en a besoin, le diable qui ne manque jamais de répondre à l'appel, s'il est fait suivant les règles."
Ce texte étonnant parle de la grotte dans les schistes et quartzites
au contact du Lockhovien (grès ferrugineux) et du Siluro-Dévonien du bois de gouarec. Cette ancienne excavation liée à l'exploitation du fer traité aux Forges en forêt de Quénécan était visible à proximité du chemin qui
Agrippa aux sept fermetures |
reliait Toul Goanv à la Lande de Gouarec au halage du Blavet canalisé. Ce chemin et le droit de passage ont été cédés à un acheteur privé (famille Le Guéné) à la fin des années 1960. L'accès a donc disparu depuis. Je me souviens (pour y avoir joué étant enfant) de cette grotte,alors vide, à proximité de laquelle coulait une source.
Le nom d'Agrippa ou Livre Noir vient du nom de Henri Corneille Agrippa (1486-1535), philosophe et médecin allemand considéré comme savant alchimiste. Il rédige cinq livres connus de magie noire qui ont la réputation d'être dotés d'une volonté propre! De rares éditions anciennes existent encore en Europe chez des collectionneurs spécialisés. Ce livre était encore bien présent dans la société paysanne du XXe siècle et y compris en terres très chrétiennes car je me souviens des récits que faisait ma mère (née en 1923 dans le Léon) à propos de ce livre.
Elle l'appelait "le petit livre rouge" car, disait-elle, il avait une couverture rouge (et était sans doute tout aussi interdit que celui de Mao par le clergé local!) Celui qui lisait "innocemment" ce livre voyait se passer de drôles de choses très peu naturelles! Par exemple, les choux-fleurs sortaient de terre dans le jardin de sa grand-mère et faisaient le tour de la maison avant de se replanter (la volonté propre du livre!) Pour que les choses rentrent dans l'ordre, il fallait relire les phrases lues à l'envers et pour cela le curé était appelé en catastrophe à la rescousse. Les choses redevenues normales, le curé jetait le livre dans la cheminée. Le fait d'avoir des livres, à l'exception des religieux (bible, missel, katekiz coz...)n'était pas très bien vu; le savoir appartenait à une certaine catégorie sociale mais pas au peuple ignorant qui devait sans doute le rester comme en témoigne la dernière phrase d'une prière récitée en Léon jusqu'au milieu du XXe siècle: "Ha da bep ini da chom en e renk": "et que chacun reste à sa place"!
Ruines de St Mathurin à Trozulon |
Ces fermiers chez qui les parents allaient chercher le beurre une fois par semaine, plaçaient l'argent qu'ils possédaient à l'intérieur de l'Agrippa, le livre auquel ils faisaient plus confiance qu'aux banques (les événements de 2008 avec l'ébranlement du système financier dans sa globalité leur donneraient raison s'ils étaient encore là!)Certains éléments en pierre comme les lec'h ou stèles de granite, les sphères ou "boules de Saint Trémeur", le "sarcophage" en granite, sont autant d'éléments concentrés autour de l'église de Sainte Tréphine et qui témoignent encore du poids des légendes et superstitions à proximité du Sulon et du Blavet, deux rivières qui doivent leur nom aux dieux de la période celtique.
Sources:La Bretagne Contemporaine. Sites pittoresques, monuments, costumes. Scènes de moeurs, Histoire, Légendes. Traditions et Usages. Deuxième volume (Finistère, Côtes-du-Nord, Ille et Vilaine). Editions Culture et civilisation, Bruxelles 1977. Sites photos "fr.123rf.com/images libres de droit.